La Lisière est un lieu de jeu et prend le jeu très au sérieux. Mais de quel jeu s’agit-il et pourquoi lui donner une place si importante?
Ton travail, c’est de jouer?
Cette question, plusieurs enfants me la posent, et lorsque je réponds “oui”, leur sourire montre que leurs espoirs sont comblés. Serait-il possible, plus tard, de faire comme travail “jouer”?
Cela révèle la façon dont nous considérons le jeu et ce que nous transmettons aux enfants. Dans bien des cas, à travers les mots que nous utilisons, nous séparons jeu et travail ; le travail est une contrainte qui exige de la concentration et le jeu, en opposition, un moment de détente pendant lequel on est libre de faire ce qu’on veut.
Observez un enfant :
dès tout-petit, il imite certaines mimiques, cela fait sourire les parents, c’est un plaisir partagé qui se poursuit avec les bruits, les intonations, les gestes…
Un jour, vous le voyez prendre une cuillère et la porter vide à sa bouche en dehors des temps de repas. Plus tard, il coiffe une poupée, fait glisser un bout de bois en faisant le bruit d’une voiture. Il met la table, nettoie la vaisselle, donne à boire à la poupée ; il accompagne toutes ces actions d’onomatopées et d’intonations que vous reconnaissez.
Puis voilà qu’ il est un boulanger, un coiffeur qui coupe les cheveux sans même avoir besoin de ciseaux dans les mains, un chevalier qui doit combattre les dragons pour sauver un village ou un pirate qui traverse les mers à la recherche d’un trésor.
Plusieurs années sont passées, votre enfant ne s’est jamais demandé s’il jouait ou travaillait lorsqu’il vivait tout cela, mais le fait est que désormais il sait parler, marcher, dessiner. Si vous n’aviez pas réagi à tous ces comportements, il n’aurait pas fait tout ce parcours. Ensemble, avez-vous beaucoup joué ou beaucoup travaillé?
Le jeu, qui est un processus de découverte, un travail engageant tout le corps, est quelque chose de naturel. Toute interaction provoque un jeu d’imitation et de tour de rôle. C’est également naturellement que les scénarios et le rôle de chacun s’enrichissent, que les capacités d’attention et d’imagination se développent.
Dès tout-petit et tout au long de sa vie, l’enfant est extrêmement sérieux lorsqu’il joue, car cela requiert toute sa concentration, qu’il s’agisse de manipulation, de mises en scène ou de jeux à règles.
Si aucun adulte n’intervient pour opposer jeu et travail, l’exploration continuera et les acquisitions suivront. A propos de ces interventions d’adultes, cela peut arriver à chacun d’entre nous sans qu’on s’y attende : lorsque l’enfant manipule cette fameuse cuillère pendant un repas, nous sommes nombreux à avoir une phrase réflexe qui vient : “ne joue pas avec ta cuillère” (sous-entendu nous mangeons pour de vrai, ce n’est pas un jeu, c’est donc sérieux…) ; s’en tenir à une démonstration-explication concrète “la cuillère est pleine et cela va tomber si elle penche” demande un effort de rééducation personnelle!
Si, dans nos mots et actes, le jeu n’est pas séparé du reste et par là-même dénigré, mais intégré, encouragé et vécu avec l’enfant, cela permet de préserver un élément essentiel. Le jeu est un outil naturel qui existe en chacun d’entre nous et permet une “auto-construction en interaction”.