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L’enfant normal n’existe pas, mais votre enfant oui

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Pablo Picasso, Enfant jouant avec un camion, 1953.

 

Les domaines de l’éducation et de la santé étant de plus en plus mêlés, cela conduit à une médicalisation de ce que l’on nommait il y a quelques décennies “des difficultés”. De ce fait les diagnostics pullulent et avec eux les notions de “prises en charge précoces et adaptées”, de “spécialistes” et de “prévention”.

À première vue, cela peut paraître une simple conséquence du progrès : progrès de la recherche qui permet une détection plus précise et précoce des troubles, ainsi que la mise en place de prises en charges adaptées confiées à des professionnels de plus en plus spécialisés. Certes, c’est une réalité, une logique, celle de la recherche médicale. Mais quelles en sont les conséquences sur l’individu, sur nos peurs? Quelle est l’influence de ce contexte sur le regard que nous portons sur les enfants? Et les parents, quelle place leur reste-t-il, sont-ils suffisamment spécialisés?

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Le rôle de l’adulte dans le jeu

Le jeu n’est pas un divertissement, c’est le moyen par lequel l’enfant apprend, se construit, découvre.

L’enfant est doté de cet outil naturel et va l’expérimenter au contact des autres, dont l’adulte. Comment se situe l’adulte dans ses interactions avec l’enfant ? Son rôle consiste-t-il à suivre l’enfant afin de préserver cet outil intact ou à le guider quitte à influer sur cet outil ?

Entre les deux bien sûr mais il n’existe aucune réponse, aucune recette, parce qu’il n’y a pas “l’enfant” et “l’adulte”, mais uniquement des individus et des situations particulières.

Parlons donc d’un enfant dans une situation :

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À propos du jeu : le jeu à visée thérapeutique

Une autre tendance consiste à utiliser le jeu pour accéder au monde intérieur de l’enfant. Cela implique l’analyse et l’interprétation du jeu.

Dans l’évolution de leur jeu, les enfants suivent un parcours commun : la manipulation, la construction, le faire-semblant sont les grandes lignes d’un cheminement universel. Il est essentiel de le connaître mais aussi de le comprendre afin d’éviter les raccourcis qui finissent par donner au jeu de l’enfant un sens qui ne lui correspond pas et le dénature.

Voici en version accélérée le développement du jeu chez un enfant dans les premières années de sa vie :

Tous les enfants commencent par manipuler. Ensuite, ils imitent des actes de la vie quotidienne comme porter la cuillère à la bouche en dehors des repas. Ils vont progressivement utiliser les objets selon un usage conventionnel : se peigner avec un peigne, se regarder dans un miroir. Cela évolue vers l’utilisation des objets comme partenaires : porter son attention sur une poupée. Viennent ensuite les premières actions décentrées : se coiffer, coiffer la poupée, donner le peigne à la poupée pour qu’elle se coiffe, utiliser autre chose qu’un peigne pour faire la même chose. Dans la continuité de cela, ils vont exécuter ces mêmes actions sur différents objets : coiffer la poupée, le nounours. Puis ils combinent des actions : la poupée se coiffe, coiffe le nounours, coiffe le nounours puis le couche. Arrive alors l’étape du projet, et cela continue car l’enfant peut déjà avoir fait tout ce parcours alors qu’il n’a que 2 ans et demi!

Au sein de ces étapes, l’enfant répond à plusieurs besoins, eux aussi universels. Certains de ces éléments sont issus de son développement physique : la préhension, l’exploration des mouvements et des distances, la marche. D’autres sont liés à l’évolution de ses capacités logiques : l’organisation de l’espace et du temps, les débuts de classements en expérimentant sur plusieurs objets les actions de taper, gratter etc jusqu’à individualiser les objets, repérer les identiques et les différents, les mettre en correspondance…Tout ce parcours se produit dans un contexte affectif qui passe par la fusion avec la mère, l’accordage affectif, l’individuation progressive, la prise en compte de la pensée de l’autre…

Ainsi, lorsqu’un enfant joue avec une poupée, cela peut être pour appréhender la matière (toucher, gratter le tissu, les cheveux), ou bien parce que c’est sa mère qui lui a fabriqué et que ce lien affectif le rassure, ou parce qu’il imite, ou parce qu’il commence à faire semblant, ou parce qu’il est en train de repérer les localisations et de voir si la poupée tient sur ou contre la chaise…. ou peut-être parce qu’il fait un peu tout cela en même temps?

Si, en tant qu’observateur, on réduit l’action de l’enfant à un seul de ces éléments, on fausse cette action. Si on la considère sous l’angle affectif, on passe à côté des besoins moteurs, visuels, logiques, du parcours vers l’accès au symbolique ; de même que si on la considère sous l’angle moteur uniquement, on nie tous les autres aspects qui existent pourtant.
En d’autres termes, l’enfant, et l’adulte plus tard, n’est pas un spécialiste du langage, de la psychologie, de la motricité ou de la logique, il est tout cela en même temps ; porter un regard de spécialiste sur lui, interpréter ses actions sous un angle particulier, fausse le sens de ses actions et de son évolution.

Ainsi, le jeu ne doit pas être réduit à un moyen d’accéder au monde intérieur de l’enfant, à ses émotions, préoccupations, à ce qu’il ne montre pas ou ne dit pas ; il est une occasion d’entrer en contact avec le monde réel, physique, intellectuel et affectif de l’enfant.

À propos du jeu : le jeu éducatif

Dans le milieu des professionnels de l’enfance, depuis plusieurs années la tendance est à prôner le jeu, mais là encore de quoi parle-t-on?
Il s’agit bien souvent d’amener l’enfant vers les apprentissages à travers des situations ludiques, le jeu est une médiation éducative.

En tant qu’orthophoniste, je connais particulièrement ce phénomène concernant la lecture et le déplore pour plusieurs raisons :

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Un nouveau genre de livre

Il est possible de raconter des contes de mille façons, en s’adressant directement à l’auditeur ou à travers un spectacle de marionnettes, un théâtre d’ombres… ou tout simplement en lisant un livre à deux. C’est ainsi que je me suis retrouvée un jour en train de créer un livre particulier.

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Pendant un temps, pour ces moments de lecture à deux, j’ai utilisé les livres que j’avais sous la main, mais j’ai  constaté au fil des lectures que les recueils de contes illustrés présentaient l’inconvénient majeur de limiter l’imaginaire de l’enfant :
lorsque, dans un récit, un loup entre en scène, il est toujours un symbole, il peut représenter pour l’enfant le méchant, l’idiot, la figure de tous les dangers… mais sur la page du livre, il est un animal noir à quatre pattes avec des oreilles pointues et de grandes dents.
Ainsi, l’illustration amène l’enfant à réduire la multitude d’images qui le traversent en une seule, les visualisations se limitent et avec elle le sens de l’histoire.

A partir de ce constat, j’ai voulu créer un livre illustré qui laisse libre cours à l’imagination de l’auditeur, le projet s’est porté sur le conte “Le loup et les sept chevreaux”. C’est ainsi qu’a commencé un travail de collaboration avec un peintre, Elio Scintu, qui a mis son art au service de nos besoins.

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Au fil de nos expérimentations et réflexions, nous avons finalement élaboré deux livres qui n’en font qu’un : un livre de grand format contenant des illustrations non figuratives, et un livre de petit format contenant ces mêmes illustrations et le texte.

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Lorsque j’ai commencé à utiliser ce livre, j’ai découvert que nous avions créé un outil dont la fonction dépassait largement celle de simple support visuel. En fait, il s’est révélé être un objet malléable que chacun utilise selon ses besoins : pour certains enfants en difficulté avec la communication, il a été l’occasion d’un premier pas rassurant vers l’autre (en regardant de loin le livre de l’autre, en jouant à échanger les livres), pour d’autres une porte d’entrée vers la lecture, pour d’autres encore un jeu de mémoire… pour nous tous en tout cas une source de plaisir partagé autour du langage.

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Un lieu de jeu

La Lisière est un lieu de jeu et prend le jeu très au sérieux. Mais de quel jeu s’agit-il et pourquoi lui donner une place si importante?

Ton travail, c’est de jouer?

Cette question, plusieurs enfants me la posent, et lorsque je réponds “oui”, leur sourire montre que leurs espoirs sont comblés. Serait-il possible, plus tard, de faire comme travail “jouer”?
Cela révèle la façon dont nous considérons le jeu et ce que nous transmettons aux enfants. Dans bien des cas, à travers les mots que nous utilisons, nous séparons jeu et travail ; le travail est une contrainte qui exige de la concentration et le jeu, en opposition, un moment de détente pendant lequel on est libre de faire ce qu’on veut.

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